Note d'intention

Présentation du répertoire

Frère Lapin (Brer' Rabbit, contraction de Brother Rabbit) est le personnage central des fables animalières que le folkloriste américain Joel Chandler Harris a rassemblé dans "Les contes de l'oncle Rémus" (paru en 1880).

 

Toutes les histoires du spectacle proviennent de ce répertoire (exceptée la dernière, pour des raisons expliquées plus bas).

Ces contes afro-américains font partie de la tradition orale précédent l'abolition de l'esclavage (le 18 décembre 1865) et Chandler Harris, quoique s'inscrivant dans une vision nostalgique du Vieux Sud, a permis par son ouvrage la diffusion de ces histoires.

Le conte animalier occupe une place importante dans ce folklore, lequel puise autant dans la tradition africaine (le cycle des histoires d'Anansi, l'araignée) qu'européenne (les fables d'Ésope, le Roman de Renart). Ce mariage forcé par l'Histoire de ces deux répertoires aboutit à une oralité codée et une ironie déguisée dont le personnage de Frère Lapin est le héraut.

Frère lapin, c'est le filou, le rusé, celui qui s'est affranchi du joug de l'esclavage - contrairement au Zamba, celui qui a accepté sa condition servile, incarné par l'éléphant. Au gré de ces aventures et roublardises, Frère Lapin affirme sans scrupule sa liberté contre l'oppresseur blanc dont les personnifications sont multiples : Frère Lion, Frère Ours ou Frère Renard chez les animaux, le fermier chez l'homme et même Dieu, un Dieu diablement humain dans lequel il est facile de reconnaître la caricature moqueuse du maître de la plantation.

Frère Lapin, c'est le rusé africain (lointain descendant de Leuk le lièvre des contes africains) plus rusé que le rusé européen (Frère Renard, le Goupil du Roman de Renart) au point d'ailleurs que ce dernier prend souvent dans ces histoires le rôle de celui dont il se moque, à savoir le loup Ysengrain.

En somme, Frère Lapin incarne une figure révolutionnaire, celle du rebelle décidé à se battre jusqu'au bout et à ne pas se contenter du monde tel qu'il est.

Frère Lapin est l'homme noir décidé à ne plus être à la place que l'homme blanc lui a réservé.

Le Duo propose une adaptation enjouée de ce répertoire dans "Frère Lapin se déchaîne"

"Déchaîné" parce que défaits des liens de l'esclavage et "déchaîné" car usant ardemment et hardiment de cette émancipation.
 
Le Duo "La Truite à Fourrure" communique cette énergie subversive au gré de 4 histoires :
 
Dès la première, le ton est donné.
Le monde dans lequel vit Frère Lapin est injuste et il faut savoir se montrer opportuniste, voire cruel, pour s'en sortir. Attrapé par le fermier à qui il vole les légumes, Frère Lapin trouve le moyen de jouer un mauvais tour à Frère Renard et s'échappe en profitant de la naïveté d'un plus faible que lui (pauvre Frère Écureuil). Un conte de ruse drôle et malicieux mais le Duo cherche sans se départir de sa légèreté à en dégager le sous-texte : le fermier s'est approprié les terres et Frère Lapin vole pour se nourrir ; le fermier attache Frère Lapin à un arbre et ce sont les lynchages qui sont évoqués, les pendaisons pour l'exemple (comme le chante Nina Simone dans "Strange Fruit")
 
La seconde histoire raconte comment Frère Lapin va rendre visite à Dieu afin d'obtenir une queue assez longue pour chasser les moustiques. Dieu accepte de lui fournir cette queue à condition de remporter trois épreuves insurmontables, épreuves que Frère Lapin surmonte, bien évidemment. Le canevas du conte est connu, nous sommes dans le conte merveilleux, mais le merveilleux cède ici la place à un humour féroce et critique : voulant quelque chose que "la nature" ne lui a pas donné (cette nature-là n'est autre que l'inégalité soi-disant naturelle que l'oppresseur blanc proclame pour asseoir son autorité) Frère Lapin va demander ce bien à "Dieu", ici le maître blanc que le duo habille de tous ces apparats : assis sur son rocking chair, se balançant sur la véranda de sa belle "maison Blanche" devant son chant de coton. La fin est tout aussi injuste que le reste : Frère Lapin triomphe mais Dieu le punit quand même, dévoilant au passage son versant diabolique. La fin est ouverte et le Duo ne se prononce pas. Au bout du conte, Frère Lapin sait où Dieu ne se trouve pas.
 
La troisième histoire voit le retour de Frère Renard. Celui-ce veut se venger de Frère Lapin et sa ruse (une poupée de goudron dans laquelle Frère Lapin s'empêtre) réussit presque. Mais à rusé, rusé et demi : Frère Lapin se tire de ce mauvais pas grâce à son babil. Le Duo suit fidèlement l'histoire tout en dévoilant à travers les élucubrations de Frère Renard les techniques d'asservissement de l'oppresseur blanc. Le dénouement est aussi l'occasion de mettre à jour la force de l'opprimé : celui d'avoir déjà connu le pire et de n'avoir rien à perdre.
 
La dernière histoire est issue de la tradition africaine : le Lièvre et la soupe au pili-pili. Ici, point d'africanisme (le Duo s'amuse d'ailleurs de cette pente pour mieux la contourner) mais une fugue volontaire pour sortir de cette dialectique du maître et de l'esclave et parler enfin d'amour. Car dans ce conte, c'est pour épouser la fille du Lion - le roi - que Frère Lapin triomphe de l'épreuve (vider une marmite entière de soupe au piment). Ici la ruse est enfin joyeuse.

Et la musique dans tout ça ?

La linéarité de l'écrit oblige à séparer les choses, mais dans "Frère Lapin se déchaîne", la musique et le chant sont cosubstantiels aux histoires et à leur tonalité. Tout comme dans leur précédent spectacle,  le rapport entre la narration et la musique se veut organique et cette dernière imprègne la forme autant que le fond :
un western ouvre la première histoire pour camper le fermier puis poursuit sur un blues tranquille pour découvrir Frère Lapin et sa joyeuse désinvolture.
Dans la deuxième, la Work song accompagne la complainte du Frère Lapin sans longue queue, un swamp blues martelé au cajon guide sa résolution à  remporter coûte que coûte les 3 épreuves et le dénouement injuste fait revernir la complainte du chant de travail, berceau du blues. S'agissant d'une conte d'origine (pourquoi frère lapin n'a pas de longue queue), il semblait évident de musicalement revenir à la source.
La troisième histoire est l'occasion, après le blues et la work song, de faire venir une autre voie de la musique noire, issue du blues primitif : le gospel.
Quand à la dernière histoire, un conte africain se situant en Afrique, le duo propose d'abord une fausse piste à la kalimba (piano à touche africain) puis enchaine sur un rockabilly, une musique "blanche". Pas de retour aux sources sans un joyeux mélange car c'est la force de la musique comme des histoires de se jouer des frontières raciales et sociales.

Spectacle de contes ou concert ?

Les deux ! Et qu'importe les étiquettes ou les formules : "conte musical", "concert d'histoires"... Le Duo s'attache à raconter des histoires comme ils chanteraient des chansons et si Jul porte davantage la musique et Fred davantage le récit c'est ensemble, à la manière d'un groupe de musique à un concert, que le Duo se présente sur scène pour raconter.
Si Le public tape du pied, bat la mesure, se balance et chante avec, tant mieux ! On n'écoute pas qu'avec les oreilles. Et si le Duo interprète ces histoires à sa façon, il n'en demeure pas moins que cette oralité-là est soeur du blues et qu'elle s'est transmise ainsi, lors des assemblées clandestines comme dans les champs de coton : par le chant, le rythme et l'énergie collective.

Pour un public enfant ou adulte ?

Toujours pour les deux, comme le sont les contes en général et les fables en particulier. Si les adultes perçoivent davantage les éléments implicites et contextuels que le Duo dévoile en seconde lecture, adultes comme enfants jubilent ensemble des ruses cocasses de Frère Lapin pour rester libre et, guidée par la musique, se laissent entrainer par le plaisir des histoires plus que par la recherche d'un sens.

Si sens et message il y a, il se résume à ce Frère Lapin fanfaron et farouchement indépendant qui sommeille en chacun de nous.
 
Spectacle tous public à partir de 7 ans, des ponts entre les petites histoires et celle avec un grand H peuvent se faire en milieu scolaire, notamment dès le cycle 3 et moyennant un accompagnement pédagogique. Le Duo propose d'ailleurs des rencontres et mini-ateliers scolaires en amont ou en aval des représentations pour sensibiliser les enfants à la dure réalité historique qui se cache derrière ses contes.  Mais surtout, et cela est essentiel car cela touche à la manière dont ces histoires ont résisté à la déculturation de l'esclavage, ces temps d'échanges sont l'occasion de créer collectivement une histoire et de raconter ensemble (voir Rencontres scolaires)

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